
Autrice et illustratrice :
Issa Watanabe
Éditeur : La Joie de Lire
Parution : septembre 2021
Album – 40 pages – dès 7 ans
Issa Watanabe est une autrice et illustratrice issue du Pérou, et directrice artistique de la Red Cientifica peruana. Nombreux de ses projets cherchent à lier art et thèmes sociaux politiques. Elle a reçu plusieurs prix pour ses travaux, dont le prix Sorcières 2021 et The White Ravens 2020 pour Migrants.
Ce dernier a été inspiré par la série photographique Where the Children Sleep de Magnus Wennman, qui sensibilise à la question du temps de repos pour les enfants réfugiés autour du monde et des conditions dans lesquelles ils y accèdent.[1]
Le livre met en image les étapes de la migration d’un groupe éclectique d’animaux, d’une forêt-désert sans nom à une destination tout aussi imprécise, mais pourtant très espérée. Au fil de leur voyage dans l’obscurité, les personnages se révèlent déterminés et solidaires face à un périple difficile qu’ils doivent effectuer sous l’œil de la Mort, amie-ennemie, qui survole le chemin sur son ibis. Il s’agit là d’un récit sans mots et sans frontières, capable ainsi de parler à tous avec humanité.
La force de Migrants réside dans l’équilibre délicat et vital qui transparaît de tous les aspects du livre : il permet une lecture engagée, investie par les émotions et les questions inhérentes à un thème auquel on a laissé ici sa complexité, entre dureté et douceur. La grande expressivité des illustrations se complète ainsi par le silence tout aussi parlant du texte et par le noir abyssal qui entoure la procession. En effet, le seul discours écrit est ici une énumération-poème sur le dos de la couverture, faisant la liste d’adjectifs identitaires donnés à ces « migrants », voyageurs forcés dont le nom est souvent réduit à une situation.
Un mot en trop serait serait défaire cet équilibre si précisément mesuré offert par le récit à un sujet qui mérite cette sensibilité. Celle-ci s’illustre encore avec le personnage de la Mort, figure certes inquiétante mais pas diabolisée. Petite, squelettique et drapée de fleurs, elle accompagne les voyageurs sur la pointe des pieds, ni clémente, ni vorace.
Cette dernière, d’abord frêle et isolée sur les pages de droite face à un groupe soudé et imposant à gauche, est bien impossible à rejeter, et ni les voyageurs, ni l’autrice ne s’y essayent. Le livre en effet se refuse à édulcorer la tristesse qui fait part à une expérience empreinte de violence. Elle est néanmoins mise en nuance par l’espoir qui se révèle au travers de l’entraide des personnages, leur tenace avancée ou encore dans les nombreuses couleurs qui rehaussent leurs vêtements, contrecoup au silence pesant du noir. Si certains se teinteront de châles sombres au fil du voyage, le cortège sera ultimement accueilli par le rose jaillissant des fleurs, jusqu’alors grises dans l’arrière-plan. Une première porte d’entrée hors de la nuit se suggère peut-être à travers cette réapparition de couleurs…
Ce jeu de balancier fait la beauté et la puissance d’une histoire pleine d’empathie. Elle conserve jusqu’au bout une certaine retenue, laissant certaines scènes libres à l’interprétation, comme l’énigmatique interaction de la Mort avec un ours polaire, et se garde bien de conclure ses pages avec un voyage complètement résolu.
Migrants est un beau livre qui permettra facilement d’ouvrir une discussion avec les enfants et de développer une réflexion sur un sujet d’actualité complexe. Il peut faire l’objet d’une lecture accompagnée, mais peut tout aussi bien être abordé et approprié par l’enfant de manière individuelle, grâce au lien facile qu’il peut créer avec les personnages et à la grande sensibilité du récit.
par Fynn Millot
[1] Une interview en anglais d’Issa Watanabe à ce sujet : https://geckopress.com/migrants-qa-with-issa-watanabe/