La mémoire envolée

Sublime vieillesse

Autrice : Dorothée Piatek

Illustratrice :  Marie Desbons

Editions Gecko Jeunesse

Sortie : 2009

Sublime album que ce petit bijou de réflexion sur la vieillesse, la vie, la mort : La mémoire envolée de Dorothée Piatek, illustré par Marie Desbons, aux éditions Gecko Jeunesse, collection « Les Mots-Sésames », 2009 !

Sublime parce qu’en quelques phrases, l’émotion à fleur de peau nous prend : mamie-vieillesse, mamie-vole, mamie-contours du temps passé ; les phrases entrent de façon vibratoire dans la danse du temps où l’espace, le monde n’obéissent plus aux mêmes objets, au même langage, aux mêmes codes, à la même densité. Sublime parce que c’est le point de vue d’un enfant, d’une petite fille, avec sa naïveté, ses questions et son acceptation de la vie qui nous permet de regarder la vieillesse autrement : une quantité de rires, de paroles, de soupirs qui n’offrent qu’une logique intemporelle, insondable et qui font dire que le lien de la transmission n’est jamais brisé.

Sublime parce que c’est une réflexion osée sur le temps qui passe, sur les souvenirs qui prennent une épaisseur différente que celle que l’on veut leur donner. Sublime parce que les illustrations sont à l’image du temps : naïves et colorées, drôles et spontanées, joueuses et endiablées. Elles n’obéissent plus à la logique de la linéarité, elles observent la nature, la tricotent en peinture, l’asticotent en verdure. Surréalistes et fantaisistes, elles offrent des oranges ombrés, des pâleurs masquées, des graphismes pointillés.

Sublime car la vie en suspens, la vieillesse en désordre, font que l’on accumule les objets du temps passé. On dirait « un parapluie sur une table de dissection », pour reprendre la formule de Reverdy qui définit ainsi le surréalisme : la vie en dissection, en dichotomie, en fragments, ceux que la mémoire nous laisse et que la petite fille rembobine, recrée et recompose.

Sublime parce que l’album fait pleurer : c’est nos grands-mères, toutes nos grands-mères, celles qu’on a eues et celles qu’on n’a pas eues ; celles qu’on a ratées et celles qu’on a aimées ; celles à qui on aurait dû dire, celles couleurs du temps qui nous ont accompagnés, sagement, délicatement, sans jamais se plaindre, jusqu’aux portes du temps !

Sublime car nous sommes forcés de nous transformer en petites Alice à la recherche du temps perdu. Et les cafetières, théières, horloges, arrosoirs, champignons et autres objets farfelus nous accompagnent dans un parcours tendre où les illustrations poétisent le réel et l’absurde poétique des mots.

Sublime enfin parce que ni la maladie inutilement rappelée à la fin de l’album, ni le temps qui passe n’effaceront la présence douce et aimante des grands-parents et, pour reprendre les phrases d’Azouz Begag à la fin du Théorème de Mamadou : « J’ai compris que la date de naissance, c’est aussi le début du compte à rebours. Le premier jour de la vie, c’est aussi le premier jour de la mort. Un jour de plus, c’est synonyme d’un jour de moins. Alors, il vaut mieux manger, se nourrir, lire. Car on ne sait jamais de quoi sera fait demain. »

Anne Schneider

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