
Autrice : Catherine Cuenca
Editions Talents Hauts
Roman – 272 pages
Livre soutenu par Amnesty International
Résumé de l’éditeur :
1978. Myriam, 17 ans, est victime d’un viol. Traumatisée, craignant d’être enceinte, elle ne trouve de soutien ni dans sa famille, qui a peur du qu’en-dira-t-on, ni auprès de son amie Lili, enfermée dans une morale rétrograde. L’exemple d’une élève de sa classe, militante au Mouvement de Libération des Femmes et le retentissement du procès d’Aix, qualifié de « procès du viol » par Gisèle Halimi, va l’aider à porter plainte, aller en justice et faire entendre sa voix.
Diplômée en histoire, Catherine Cuenca est désormais autrice à plein temps. Elle a notamment publié chez Talents Hauts Celle qui voulait conduire le tram (2017) et Soeurs de guerre (2020). Elle inscrit ces récits dans l’Histoire et relate avec ces personnages des épisodes marquants du passé.
Nos corps jugés est publié dans la collection Les Héroïques qui met en lumière les personnages oubliés des livres d’histoire mais sans qui le monde ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. A travers cette collection de romans, Talents Hauts renouvelle son engagement pour les droits des femmes et la lutte contre les stéréotypes.
Notre avis :
« Son histoire n’en est qu’une parmi d’autres… Tellement d’autres. »
L’histoire que Catherine Cuenca a choisi de raconter est celle de Myriam, 17 ans, victime d’un viol et dont le parcours vers la reconnaissance (juridique) de son viol est un véritable combat dans une époque ébranlée par de nombreux changements sociaux.
Si ce récit témoigne d’une évolution de la société, c’est également un rappel des batailles qui sont à l’origine de ces droits. Malgré sa dimension historique, Nos corps jugés résonne dans l’actualité, avec la libération de la parole sur les questions du consentement et la reconnaissance progressive des violences sexistes et sexuelles. La question de la mémoire collective est ainsi mise au centre de la réflexion : l’ouvrage rappelle l’importance de se souvenir du passé pour ne pas répéter des erreurs ou risquer des retours en arrière au point de vue législatif dans ce cas précis.
« Elle n’aurait dû parler de son histoire à personne. Elle n’aurait dû compter que sur elle-même. Elle est complètement seule, désormais. »
Une des grandes questions qui se pose quand Myriam annonce son viol est celle de la réputation : mais que va-t-on dire ? Dès lors, une vraie remise en question des relations avec les proches apparaît. Quels sont les désaccords qui peuvent être tolérés dans relation familiale ou amicale ? Peut-on garder un lien avec une personne avec qui nos valeurs diffèrent ? Ce livre ouvre ici une réflexion très intéressante, dont le lecteur peut s’emparer. C’est une des forces de ce roman, qui apporte un angle nouveau sur le thème du viol. En effet l’héroïne a très rapidement conscience de son statut de victime, ce qui n’est pas le cas de son entourage qui l’accable.
Ce roman est ainsi la mise en scène d’une famille fracturée, divisée. C’est une représentation importante dans la littérature jeunesse qui amène à s’interroger sur la force des liens de sang, souvent considérés comme indéfectibles. Les relations familiales sont repensées, et Myriam entraîne le lecteur dans sa réflexion et ses considérations.
Étonnamment, ce roman est écrit avec un narrateur externe et l’auteur n’adopte le point de vue de Myriam que pour quelques paragraphes, notifiés par un changement de typographie.
Un des moments marquants du récit, pour Myriam comme pour le lecteur, est la diffusion du procès d’Aix à la télévision. Myriam y assiste à table, avec ses parents qui dénoncent ce « raffut » pour une « histoire aussi lamentable ». Suite à la dispute qui en découle, Myriam se met à écrire son histoire dans une longue lettre qu’elle enverra à une avocate. La diffusion de ce procès et la condamnation des accusés est le déclencheur de cette démarche vers « son » procès du viol. Cela lui redonne espoir, et lui permet de se mobiliser pour obtenir justice.
À cette époque, Gisèle Halimi porte la voix des victimes au tribunal, alors que le viol n’est pas reconnu comme un crime. Catherine Cuenca met ainsi en lumière cet événement historique, moins connu des jeunes générations, qui a contribué au changement des mentalités. C’est aussi un moyen de montrer l’importance de la médiatisation de cette affaire, qui a notamment permis la criminalisation du viol deux ans plus tard, en 1980.
Nous retrouvons dans ce roman un personnage féministe militant au Mouvement de Libération des Femmes, qui est au début du roman en tout cas une fille « à part » et exclue du groupe. Cela pourrait s’expliquer par le contexte historique dans lequel le récit s’inscrit (il a lieu en 1978). Toutefois, la reprise de ce lieu commun, qui perpétue un cliché, n’apparaît pas décisive dans le récit et ne me semble donc pas vraiment nécessaire.
Catherine Cuenca réussit dans ce roman à nous montrer une évolution des personnages porteuse d’espoir, sans jamais idéaliser une réalité brutale.
Vous pouvez retrouver ici une interview de Catherine Cuenca à propos de Nos corps jugés : 5 questions à Catherine Cuenca (Nos Corps jugés)
Juliette Cayrel