
Autrice et Illustratrice : Daphné Collignon, d’après le roman de Jacqueline Kelly
Éditions : Rue de Sèvres
Parution: 03 novembre 2021
Bande-dessinée – 168 pages – À partir de 8-9 ans
Calpurnia est à l’origine une série de romans par l’autrice Jacqueline Kelly publiée aux éditions École des loisirs. Cette série a été adaptée par la suite en une bande-dessinée de deux tomes publiée chez Rue de Sèvres qui rassemble les bande-dessinées des éditions Ecoles des loisirs.
Cette version est une édition intégrale, qui réunit les deux tomes de la bande-dessinée en un seul ouvrage.








Résumé de l’éditeur :
“En 1899, Calpurnia Tate, 11 ans, habite au Texas, dans le comté de Cadwell. Avec l’aide de son grand-père, un naturaliste, elle observe les sauterelles, les lucioles ou les opossums et développe son esprit scientifique. Elle se pose mille questions et se demande si la science peut être une voie sur le chemin de la liberté pour une jeune fille à l’aube du XXe siècle. Intégrale de ses aventures”
Calpurnia Virginia Tate, surnommée Callie V et âgée de onze ans, est l’héroïne de cette bande-dessinée originale et féministe.
On suit la jeune fille à une période cruciale de sa jeune existence : encore considérée comme une enfant, elle ne va cependant pas tarder à être assez grande pour “sortir dans le monde” (page 40). En prévision de l’année à partir de laquelle elle pourra organiser et participer à des bals tout en cherchant un mari, sa mère souhaite accélérer son apprentissage des bonnes manières et des compétences jugées exclusivement féminines (cuisine, broderie, ménage). Elle se heurte cependant à la résistance de Calpurnia, passionnée par la nature et l’étude des êtres vivants. Elle qui rêve pourtant d’aller à l’université poursuivre les enseignements que lui prodigue son grand-père, également passionné de science, se retrouve contrainte à obéir aux ordres de sa mère et de la société.
En cette année 1899, dans l’État du Texas aux États-Unis, la société américaine est caractérisée par le patriarcat imposant les tâches domestiques aux femmes et offrant les responsabilités aux hommes, ainsi que l’esclavagisme conduisant les hommes noirs dans les champs de coton et les femmes dans les cuisines au service des familles blanches. La famille de Calpurnia dirige l’un de ces champs de cotons et emploie une femme noire prénommée Viola en tant que cuisinière.
Calpurnia est une héroïne pleine de vie et de curiosité, animée par sa soif de connaissance qui l’amène à nouer un lien particulier avec son grand-père paternel surnommé Bon-Papa. Ce dernier a aménagé la cabane au fond du jardin familial en laboratoire et transmet tout son savoir à Calpurnia au cours de balades dans la forêt à la recherche de nouveaux spécimens.
Calpurnia brise les codes car elle ne se plie pas aux attentes de l’époque, et elle se sent de ce fait, incomprise par sa famille. Seule fille au milieu d’une fratrie de 6 frères, elle a tout le loisir d’observer la différence d’éducation réservée aux garçons. Ces derniers bénéficient d’une plus grande liberté et en profitent pour explorer leurs sentiments amoureux, en courtisant notamment la meilleure amie de leur sœur. La relation privilégiée qu’elle entretient avec son frère de dix-sept ans prénommé Harry permet aussi d’explorer le thème de la séparation inévitable entre frère et sœur car ce dernier est en âge de se marier et de fonder sa propre famille.
“Pourquoi les filles doivent-elles toujours être jolies ? Dans la nature, ce sont pourtant les mâles qui font des efforts. Comme les colibris, par exemple.” Calpurnia, page 45.
Le féminisme est au cœur de cette bande-dessinée, au travers du caractère d’une héroïne affirmée qui sait ce qu’elle veut ainsi que des sujets abordés. La place des femmes dans le milieu des sciences ou encore l’accès à l’université entravé par leur devoir de mariage soulèvent des questionnements chez Calpurnia. Ces derniers la poussent à se révolter contre l’avenir qu’on lui réserve en tant que femme.
“Tu sais Calpurnia… S’il y a une chose aussi rare que belle… C’est bien la liberté.” Bon-Papa, page 83
L’originalité et la beauté de cette bande-dessinée tiennent dans le savant mélange entre les planches représentant des scènes de vie de Calpurnia et les pages que l’on pourrait penser sorties de son journal intime offert par Harry et qu’elle tient à jour au fur et à mesure de l’histoire. Plusieurs styles d’illustrations et polices d’écriture, dont une imitant l’écriture manuscrite, se côtoient et enrichissent la bande-dessinée que l’on prend plaisir à déchiffrer.
La seule critique que je pourrais adresser à l’ouvrage concerne le traitement de l’esclavagisme et de la condition des noirs. Bien que mentionnés plusieurs fois, les champs de cotons où des travailleurs noirs sont exploités ne sont pas réellement questionnés, pas plus que ne l’est la position de cuisinière occupée par Viola qui ne serait pas à plaindre car ce serait apparemment, page 91, “tout ce qu’[elle] sait faire” et que “sa vie pourrait être beaucoup plus dure” si elle travaillait dans les champs de coton tel que le déclare Bon-Papa. Au vu de l’esprit de révolte et de remise en question de la société adopté par Calpurnia, une critique de sa part envers le système esclavagiste de l’époque aurait pu faire sens et aurait été profitable au lectorat probablement assez jeune en pleine construction de ses convictions et valeurs.
Cette bande-dessinée défend malgré cela de nombreux messages à la fois féministes et d’espoir, célébrant la science et le bénéfice d’expérimenter et d’échouer :
“Cela signifie que nous devrions fêter chaque échec, parce qu’il indique clairement que notre voyage de découverte n’est pas encore fini.” Bon-Papa, page 120.
En somme, j’ai passé un très bon moment à lire cette bande-dessinée, qui plaira, à n’en pas douter, aux défenseurs de l’éducation des femmes et aux amateurs d’héroïnes affirmées.

Explorant une thématique similaire, on retrouve le roman Miss Charity de l’autrice Marie-Aude Murail. Tout comme Calpurnia, l’héroïne, qui se prénomme Charity, est une petite fille qui grandit à la fin du XIXème siècle, mais qui vit de l’autre côté de l’Atlantique. Elle fait en effet partie de la bonne société anglaise. Les deux héroïnes ont en commun l’esprit de rébellion contre les normes imposées aux filles, contraires à leur soif de connaissance notamment dans le domaine des sciences.
Ci-dessus, deux articles en lien avec le sujet commun des deux ouvrages.
1-Christine Fontanini et Anne Schneider, « Vétérinaire : un métier exercé par les hommes ou par les femmes dans la littérature de jeunesse d’hier et d’aujourd’hui ? », Les pièges du genre, Revue Méridian Critic, vol 33, n°2, 2019, Université Stefan cel Mare Suceava, Roumanie. http://meridiancritic.usv.ro/uploads/mc_2_2019/03.%20Fontanini_Schneider.pdf ; consulté le 29/09/2020.
2-Anne Schneider, « De mulieribus illustribus : au sujet des femmes illustres. Représentations des femmes dans les métiers scientifiques en littérature de jeunesse », Les pièges du genre, Revue Méridian Critic, n°2, vol 33, 2019, Université Stefan cel Mare Suceava, Roumanie : http://meridiancritic.usv.ro/uploads/mc_2_2019/06.%20Schneider%20Anne.pdf , consulté le 29/09/2020
Jade Leroy