
Autrice : Félicité de Genlis
Editeur : Talents Hauts – Collection Les Plumées
Parution : 25 novembre 2021
Roman – 128 pages
La Femme auteur est une nouvelle parution des éditions Talents Hauts, connue pour ses parutions engagées, au sein de leur collection « Les Plumées ». Cette dernière a pour objectif de « Retrouver, rééditer, réhabiliter les femmes de lettres « plumées » » afin de « montrer aux jeunes lecteurs et lectrices d’aujourd’hui que la littérature s’est toujours conjuguée au féminin » (présentation de l’éditeur).
Résumé de l’éditeur :
« En 1779, Félicité de Genlis publie Théâtre à l’usage des jeunes personnes. Le livre connaît un succès retentissant, mais cette notoriété s’accompagne de critiques virulentes, notamment de la part des philosophes de L’Encyclopédie.
La Femme auteur, paru en 1802, est le premier roman présentant un personnage de femme qui, à l’image de son autrice, écrit et publie ses œuvres.
Préface de Titiou Lecoq, journaliste, essayiste et romancière autrice de Libérées ! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale (Fayard, 2014), et de Les grandes oubliées (Iconoclaste, 2021). »
Ce roman raconte la vie de Natalie, l’héroïne, qui monte à seize ans à Paris avec sa sœur aînée où elles se marient peu de temps l’une après l’autre. Elle devient veuve à vingt-deux ans puis tombe amoureuse d’un homme qu’elle pense inaccessible. C’est aussi et surtout le cheminement de sa relation avec l’écriture, une passion qu’elle transformera éventuellement en profession.
Sous couvert d’une fiction ce roman de 1802 est un témoignage de la condition de femme auteur aux alentours du début du XIXème . Se différenciant volontairement de son héroïne, Félicité de Genlis puise malgré tout dans son expérience et son vécu pour nous livrer un aperçu réaliste de l’adversité à laquelle se mesuraient les femmes qui faisaient de l’écriture leur métier.
Le titre, La Femme auteur, nous révèle déjà l’ambiguïté de cette profession pour les femmes d’alors.
Le terme d’autrice employé depuis l’Antiquité est en effet effacé de la langue à la demande de l’Académie française. Les femmes sont ainsi condamnées à exercer une profession masculine. Le roman de Félicité de Genlis dépeint de même parfaitement un autre obstacle qui se dresse devant les femmes : il s’agit des qualités morales qui leur sont supposées inhérentes. Félicité l’exprime dès le début du récit lors d’une discussion entre son héroïne et sa sœur : vouloir se faire publier c’est faire preuve de vanité car on se pense alors digne d’être lu. Or la vanité est réservée aux hommes puisqu’elle est indigne de la modestie du sexe féminin.
« Faire imprimer un ouvrage, n’est-ce pas dire (au moins) : « Je le crois bon, je crois que mes pensées sont dignes de circuler dans l’univers entier, et de passer à la postérité » ? » page 23
La vocation d’auteur s’avère périlleuse pour les femmes et leur réputation. L’héroïne en fera par ailleurs les frais.
Les personnages de ce récit, qui constituent l’entourage de l’héroïne, incarnent les attentes de la société et ce à quoi Natalie devrait se conformer. Cette dernière personnifie la curiosité, la passion et la vocation de l’écriture, et elle est en cela diamétralement opposée à sa sœur, Dorothée, présentée comme « l’image de ce que doit être une dame de la haute société » (description de l’éditeur), prudente et sage d’esprit. C’est d’ailleurs elle qui dissuade dans un premier temps Natalie d’aspirer à la publication. De même, Germeuil qui deviendra son amant puis son fiancé, loue l’innocence et absence d’ambition initiale de l’héroïne et se révèle être un soutien parfois réticent et jaloux lorsque Natalie se met à publier. La rivale de Natalie pour l’amour de Germeuil, la comtesse de Nangis, est quant à elle décrite comme « l’une des plus belles femmes de la cour » à la « conduite si parfaite », presque pour souligner une fois de plus l’éloignement progressif de Natalie vis-à-vis de cet idéal auquel elle devrait aspirer.
« Vous perdriez la bienveillance des femmes, l’appui des hommes, vous sortiriez de votre classe sans être admise dans la leur. Ils n’adopteront jamais une femme auteur à mérite égal, ils en seront plus jaloux que d’un homme. » page25
Ce récit est aussi celui du féminisme par de nombreux aspects. Le fait même que le statut des femmes autrices soit au cœur du roman permet de maintenir la discussion à ce sujet et d’en promouvoir l’existence, bien que Félicité de Genlis ne soit pas particulièrement tendre avec son héroïne à ce sujet. En effet parce qu’elle l’a sûrement expérimenté elle-même, et peut-être inconsciemment, Félicité expose au travers de Natalie « la violence intériorisée des femmes envers elles-mêmes » (préface de Titiou Lecoq). Cependant, les relations féminines dans ce roman mettent également en avant la solidarité entre femmes : Dorothée finit par soutenir sa sœur dans la publication de ses romans et la rivalité entre Natalie et la comtesse de Nangis a toujours été placée
sous le signe du respect mutuel entre les deux femmes. Pour finir, c’est un récit plein de romantisme. L’histoire d’amour entre Natalie et Germeuil est au cœur du roman dont elle constitue l’une des intrigues principales, repoussée longtemps par de nombreux rebondissements et obstacles parfois comiques. Malheureusement sa triste issue mènera à une fin du roman en demi-teinte. L’amour sororal constitue quant à lui un pilier important de l’existence de Natalie.
« L’amour n’apprécie que le temps présent, c’est de tous les sentiments celui qui s’occupe le moins de l’avenir ; il craint d’y jeter les yeux, il n’est jamais sûr de s’y retrouver. » page 71
La plume de Félicité de Genlis est pleine de délicatesse, de poésie et foisonne de réflexions profondes distillées par l’écrivaine.
La Femme auteur est un ouvrage coup de cœur qui se lit rapidement et que j’aurais profondément apprécié étudier en classe aux côtés d’autres classiques de la littérature du XIXème siècle.
Jade Leroy