
Erik Poulet-Renay, Oskar, 2013
Par Anne Schneider, Maître de conférences en littérature de jeunesse, Institut International Charles Perrault
La quête du père, un sujet classique en littérature de jeunesse
Le roman L’Arabesque est un livre plaisant, bien écrit, facile à lire, qui raconte les atermoiements d’une jeune fille qui découvre le jour de ses dix-huit ans que son père n’est en réalité pas le sien ! Sur cette base un peu convenue (on pense par exemple au livre d’Anne Vantal Un été outremer, publié chez Actes Sud Junior en 2006, où un jeune garçon adopté part en Algérie retrouver ses origines), qui est le propre des canevas de bien des romans de jeunesse, la quête du père va occuper tout le livre. La jeune fille va partir à la recherche de son père jamais connu, ce qui va la mener au Maroc, où elle va découvrir un pays, l’amour, l’aveuglement et les ravages du terrorisme et son père…
La quête du père est finalement un prétexte pour raconter, d’une part, les sentiments de la jeune fille, ses errements, ses colères, car elle se sent trahie par ce long silence et ce secret trop lourd, sentiments assez bien décrits, et, d’autre part, également, la découverte du Maroc, de ses coutumes, des sensations qui y sont liées.
Ce sont en effet non pas les personnages – souvent fades et peu élaborés, presque caricaturaux comme la mère, le beau-père, le grand-père, la copine ou la sœur – qui sont importants dans ce roman, mais bien plutôt l’appréhension d’un pays, la découverte de celui-ci, qui sont racontés ici.
La dénonciation du racisme, dans la lignée du roman migrant
La fin du roman est très ouverte et un peu surprenante : on apprend les raisons du rejet de ce garçon arabe par la famille, raisons évidemment peu acceptables, ce qui renverse finalement en négatif la figure bienveillante des grands-parents décrite au début du roman. Les pressions familiales tout à fait plausibles, davantage encore si on se place du point de vue des années 1950 à 1990 ou si on contextualise le milieu familial, ne sont cependant pas suffisamment expliquées et on reste sur sa faim quant à la réaction de la jeune fille découvrant comment la pression parentale a fait de sa naissance un arrachement du père, parce qu’il est d’origine marocaine. D’autre part, le roman peut être contextualisé par l’attentat du 28 avril 2011, qui a lieu sur la place Jemaa-el Fna à Marrakech, ce qui discrédite un peu la lourdeur et le poids du milieu familial : nous sommes dans les années 90, ce qui introduit une distance par rapport aux non-choix faits par la mère supportant des décisions familiales que ses parents ont faites à sa place.
On aurait pu imaginer un texte à deux voix avec les propos de la mère en creux sur cette période de sa vie, ce qui aurait étoffé les figures féminines du roman.
Cependant, le roman se situe dans la lignée des romans migrants ; c’est un roman engagé qui dénonce le racisme et montre – de façon certes trop succincte – comment le conformisme social peut décider de la vie des gens. On peut s’étonner également que la fin trop ouverte n’offre pas une condamnation sans appel de ces comportements et on souffre de ne pas connaître les réactions de la jeune fille apprenant cette nouvelle. Par rapport à la petite jeune fille désespérée du début, on pourrait imaginer avoir affaire à une fille mûrie par la rencontre avec son père, par l’amour, par le voyage et capable de se positionner et de s’engager contre le racisme.
Le Maroc, entre exotisme et terrorisme
Le Maroc est décrit d’emblée avec tous ses atours orientaux : couleurs, odeurs, lueurs, chaleur, bref un ensemble de sensations intenses. Le jeune ami de la narratrice fait de la calligraphie, d’où le titre du livre, L’Arabesque, joli titre qui entremêle à la fois les tours et détours de la calligraphie et de l’amour naissant. Cependant, on peut regretter que les descriptions du Maroc, du travail du calligraphe ne soient pas plus détaillées et que le Maroc grouillant et plein de vie ne soit pas davantage décrit. On pense à Feuille de verre de Mustapha Kebir Ammi (coll. « Scripto », Gallimard), ou aux récits de Tahar Ben Jelloun, qui mettent en valeur les personnages, leurs errements, leurs rencontres dans un Maroc tortueux et effervescent. Marrakech n’est jamais décrite, alors qu’il y a là matière à de nombreux développements. Cependant, l’originalité du livre est d’évoquer l’attentat de la place Jemaa el-Fna de 2011 et le passage où sont décrits les youyous des femmes propageant la nouvelle de l’attentat est l’un des plus intéressants du livre, fruit non pas d’un orientalisme convenu mais signe d’un Maroc vibrant et chaleureux.