Frères d’exil

Frères d’exil de Kochka, ill Tom Haugonat,

Flammarion jeunesse, 2016, réédition 2019

On connaît Kochka -dont le nom signifie chat en libanais-, autrice franco-libanaise (père français, mère libanaise), née en 1964, arrivée en France en 1976 pour, entres autres romans, sa délicieuse comédie villageoise publiée chez Grasset jeunesse, dans la collection « Lampe de poche » en 2007 : Najwa ou la mauvaise réputation dans laquelle elle livre à travers un portrait collectif humoristique de femmes « dans l’imprécision voulu du pays réel, une représentation concertée du monde arabe des campagnes. » selon Jean Perrot dans Mondialisation et littérature de jeunesse, Edition du cercle de la Librairie, 2008, p.274.

Cette imprécision est également visible dans ce nouveau petit roman illustré. En effet, cette histoire universelle d’exil dont on s’attendrait qu’elle prenne appui sur la connaissance de l’autrice des pays arabes et des réalités de la migration de cette partie du monde, avec la Syrie en particulier, est pour autant inscrite dans une autre réalité. 

En effet, ce sont ici les réfugiés climatiques qui sont décrits, déplaçant le propos qui pourrait être impacté d’un lien trop impliquant avec les images médiatiques des réfugiés qui sont visibles par les enfants à la télévision. L’autrice précise dans la préface : « L’île de cette histoire est fictive. Elle tient son langage de la Polynésie car il est difficile d’inventer un langage, mais sa géographie est hybride. » Ainsi, l’écart voulu par l’autrice se déploie sur plusieurs niveaux : la géographie, les us et coutumes, les contes et légendes, les noms, l’imaginaire de l’exil. 

En effet, le récit raconte l’engloutissement d’une île de Polynésie sous des eaux diluviennes et la fuite d’une famille laissant derrière elle les grands-parents trop âgés, voués de ce fait à une mort certaine. Leur embarquement avec tous les habitants de l’île sur un immense paquebot, leur voyage, puis l’arrivée et l’intégration en France se font sous l’accompagnement bienveillant des lettres laissées par le grand-père Ipa que Nani va lire à chaque étape de ce voyage vers le Nouveau Monde. Cette lecture créera un lien très fort entre Nani et un petit garçon, Semeio, adopté par Janek et Youmi, les parents de Nani, au cours du voyage. Les deux enfants deviendront des frères d’exil.  

Kochka avoue être inspirée par les contes qu’elle a beaucoup lus enfant : « on peut nager dans les contes à tous âges » dit-elle. (interview de Kocha : https://www.youtube.com/watch?v=FO5kDR6HPjw) Cet univers du conte est rehaussé par la présence des illustrations, en particulier celle, après la deuxième partie « la traversée » où les deux enfants lisent les lettres dans la nuit noire, sur le pont du bateau et après le titre de la dernière partie : « le continent ». Cette dernière image est saisissante de liberté puisqu’on y voit la petite fille se tenir debout sur la porte-bagage du vélo de son père.

Ces illustrations sont très stylisées -on ne voit jamais les traits des visages des personnages et elles sont toutes fondées sur le même code de couleur : le bleu, le rouge, le noir et le brun. Elles participent d’une certaine façon à cet effet de décalage voulu par Kochka puisqu’elles déréalisent le propos, le réduisant à l’essentiel. Quelques éléments distillés peuvent faire penser à la Polynésie : fleurs ou feuilles, montagnes et mer, mais les illustrations tendent à placer la thématique de la migration dans une volonté d’universalisation.

En conclusion : 

Un ouvrage un peu surprenant au départ parce qu’il décale le propos sur la migration en l’ancrant sur un départ de Polynésie et en traitant des réfugiés climatiques, mais il est pourtant bien emblématique de toutes les migrations et propose un message universel.

Des éléments de la culture polynésienne savamment distillés dans l’œuvre sans l’alourdir,  procurant un effet de réel. 

Une réflexion sur l’exil, l’accueil de l’autre et la transmission, avec un accent optimiste sur l’intégration possible.

Une thématique de l’épistolaire bien connue en littérature de jeunesse filée ici avec justesse.

On peut regretter que la tranche d’âge indiquée « 11 ans » avec la mention « les plus belles lectures du collège » soit peu en accord avec l’âge des héros (huit ans) et le type de récit, plus proche de l’album, sa destination peut à notre avis avoir un empan plus large : des premières lectures 7 ans à 12 ans. Son petit prix (5, 20 euros) est à souligner.

On peut retrouver sur le site de Flammarion jeunesse cinq interviews de Kochka sur Frères d’exil. https://www.flammarion-jeunesse.fr/Auteurs/kochka

Anne Schneider

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