Les migrateurs

Auteur : Vincent Gaudin

Illustratrice : Karine Maincent

Édition : Kilowatt

Parution : septembre 2020

64 pages

A partir de 7 ans

Deux jeunes oisons, Jojo et Jolie, coulent des jours heureux et insouciants près de leur lac mais l’arrivée d’oiseaux de malheur menace leur colonie en envahissant leur territoire et en imposant leurs lois mortifères. L’heure est grave pour les parents des oisons car une seule solution se présente à eux : la migration inhabituelle et dangereuse par les montagnes nécessitant de faire appel à des outrepasseurs. Les parents se font littéralement « déplumer » par ceux-ci et ne peuvent pas accompagner leurs enfants dans cette migration forcée, condamnés à rester sur place et à se cacher. Voilà nos deux amis contraints de quitter leur famille et leur lieu de vie pour affronter les périls d’un long voyage et pour partir à la découverte d’une nouvelle vie.

Quelle remarquable idée que cette fable métaphorique qui a recourt au thème des oiseaux et de leurs migrations saisonnières pour le transposer à celui de la problématique de la migration forcée et de l’exode que subissent nombre d’êtres humains sur terre depuis la nuit des temps ! Si le mouvement des oiseaux est considéré comme naturel, ancré dans leurs besoins et leur survie, il est ici perturbé par un conflit politique qui fait basculer l’histoire dans la fable. Les personnages des oies sont en effet anthropomorphisés, accompagnés de quelques attributs humains tels qu’un chapeau, une paire de lunettes, des boucles d’oreilles. Même pour un jeune lecteur, il ne fait aucun doute que cet album, en forme de roman graphique, nous parle de notre monde et de son humanité. Mais la transposition aviaire permet un véritable déplacement de l’affect qui entraîne une réflexion plus distanciée sur les réalités dramatiques que traversent les migrants comme la menace et la fuite face au danger, la séparation douloureuse des familles, les voyages périlleux auprès de passeurs sans scrupules, les camps de réfugiés ou l’adaptation à un milieu de vie nouveau.

Le texte de Vincent Gaudin est riche, alliant le style narratif au style dialogué, ce qui le rend très vivant, souvent dur mais aussi touchant et parfois riant. On perçoit chez cet auteur un amour des mots qui, par le jeu des sens multiples, des expressions ou des néologismes, sont très évocateurs et donnent toute sa profondeur à l’histoire : les vautours aux bottes noires désignés comme les « oiseaux de malheur », les « outrepasseurs » qui transgressent le pacte passé avec les exilés , « être déplumé » et perdre sa dignité, se faire traiter « de tous les noms d’oiseaux », la « belle oie blanche » de l’innocence…autant de termes qui enrichissent la métaphore de la migration. Les deux passages, sur la formation en V du vol des oies que Jojo et Jolie s’amusent à transformer en A puis en Z et sur les chants de l’enfance pour que les deux amis ne se perdent pas pendant le voyage et se remémorent les temps joyeux et fondateurs auprès de leurs proches, apportent au récit dont la tension narrative est forte un peu de légèreté et d’insouciance. Comme l’énonce le narrateur, « La situation est dramatique mais Jojo ne peut s’empêcher de sourire ».

Quant aux choix graphiques de l’illustratrice, ils s’accordent parfaitement à l’esprit du texte, voire le nuancent à certains moments et l’amplifient à d’autres. Dans un entretien, voici ce qu’exprime Karine Maincent à propos du livre Les Migrateurs :

“La première fois que j’ai lu le texte de Vincent Gaudin, j’ai été saisie par sa puissance métaphorique. Ces oiseaux, qui cherchent à partir vers le sud, c’est un grand voyage semé de belles rencontres parfois, de découvertes, mais aussi et surtout d’adversité et d’embûches. […] J’ai beaucoup cherché la bonne écriture graphique, et finalement j’ai choisi trois crayons de couleur : le brun pour les forêts du nord, le bleu pour la traversée de l’océan, et l’orange pour évoquer les pays du sud. J’ai choisi aussi d’utiliser l’intensité de l’encre de Chine pour signifier le mal, le noir. Et puis, j’ai opté pour un dessin simple et fluide. Et c’était parti pour 120 dessins !”

Ces illustrations de Karine Maincent offrent aux lecteurs et lectrices des scènes colorées et vives débordantes d’humanité à l’image de cet album. On peut citer, par exemple, un effet de rythme qui accompagne la tension narrative finale, au moment où nos deux héros vont peut-être connaître le sort de leurs parents restés près du lac, par une scène (pp 54-55) composée de quatre vignettes sur une double page qui montre un mouvement ascendant du haut d’un arbre en direction du ciel, et ainsi vers l’espoir, puis une nouvelle vignette à la page suivante qui ramène le point de vue à la base du tronc, la déception : « Les épaules de Jojo et de Jolie s’affaissent… ». Mais l’histoire n’est pas finie et les rebondissements encore en cours…

Un ouvrage important qui traite d’un sujet difficile et met en avant des valeurs humaines telles l’accueil, la générosité et l’ouverture aux autres tout en respectant de manière édifiante le double lectorat de la littérature de jeunesse que sont les enfants et leurs prescripteurs.

Pour découvrir un peu plus l’auteur et l’illustratrice :

https://vincentgaudin.wixsite.com/vincentgaudinlivres

http://karinemaincent.blogspot.com/

Bénédicte Charlier – Mars 2021

Mots clés : oiseaux – oies – migration – exil – voyage – épreuve – initiation

Laisser un commentaire