« Notes de lecture », Le français aujourd’hui, 2021/3 (N° 214), p. 137-148. DOI : 10.3917/lfa.214.0136.
Anne SCHNEIDER (éd.). La Littérature de jeunesse, veilleuse de mémoire. Les grands conflits du XXe siècle en Europe racontés aux enfants. Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2020 (280 p., 21 euros)
Les contributions rassemblées dans cet ouvrage forment un ensemble qui permet d’appréhender sous un jour nouveau la question de la représentation de la guerre en littérature de jeunesse. Si l’on savait que le thème n’est pas tabou pour le jeune public, y compris, avec les albums d’Elzbieta ou de Gilles Rapaport, pour raconter les pires exactions des guerres du XXe siècle aux très jeunes enfants, l’on apprend grâce à cet ouvrage comment la question est investie dans les différentes aires européennes. Le lecteur n’y viendra donc pas simplement chercher des repères bibliographiques pour constituer un corpus de romans et d’albums sur les conflits armés de l’histoire contemporaine, mais aussi et surtout une réflexion de vaste ampleur, et de très bonne tenue, sur l’intrication d’un tel thème avec des enjeux culturels, voire géopolitiques, de construction intergénérationnelle d’une mémoire partagée.
On passe ainsi, d’un chapitre à l’autre, du choix pour trois récits illustrés italiens de rapporter la traversée du fascisme par la représentation de l’espace clos des maisons, à la manière dont un trio auteur-illustrateur-éditeur français institue en véritable triptyque commémoratif une histoire familiale de Vichy à la Libération, en passant par le choix pour l’Irlande du Nord, dans un roman figurant dans les programmes scolaires, de se peindre comme terre d’accueil après l’Anschluss. L’enquête se poursuit au Portugal, en Pologne ou en Grèce, sans oublier la France et l’Allemagne. Elle ne se contente pas d’enrichir la liste des procédés du texte et de l’image pour faire vivre des destins, faire entendre des voix passées, ou trouver des correspondants artistiques au vécu fracturé ; elle interroge également la possibilité de déjouer dans la littérature de jeunesse britannique les simplifications de la peinture des mauvais Allemands, ou trace dans l’histoire éditoriale tchèque la difficulté à se défaire progressivement d’une obligation d’héroïsation soviétique.
Si les contributions ne parviennent pas toutes à se passer de l’assurance un peu rapide d’un traitement contemporain désormais nuancé, elles permettent assurément de mettre en relief les dangers d’une ambition éducative qui justifierait de colporter, sous un jour simplificateur, les grandes lignes de chaque roman national, sans les mettre en résonance. L’ensemble donne à penser la difficulté de passer d’une littérature de médiation, certes attentive aux sensibilités et consciente du danger de la manipulation des jeunes consciences, à ce que pourrait être une littérature d’enquête, fondée sur des gestes d’auteurs historiens et engageant le jeune lecteur dans une construction toujours en cours de l’Histoire.
L’ouvrage accorde, on ne s’en étonnera pas, une place majeure à la Seconde Guerre mondiale, en y consacrant deux parties sur trois. Particulièrement généreux en exemples analysés, résumés, quand ils ne sont pas traduits et abondamment illustrés, il fournit une synthèse précieuse sur une question essentielle, en renvoyant régulièrement le lecteur à ses attentes éducatives
AMarie PETITJEAN